14 mai 2008

Pour couper la branche, faisons d'abord croire qu'elle est morte

http://www.umj-asso.com/accueil.php

Quelque part en France, un festival de jazz s’est vu récemment supprimer une subvention publique, à trois semaines de son ouverture. Il n’est pas le seul : d’autres, dans le cinéma ou le théâtre, ont vécu pareille expérience il y a peu. D’autres s’attendent à la vivre.

La brutalité de ces coupes franches dans les subventions, mais également la rapidité avec laquelle elles sont opérées, nous disent assez qu’il ne s’agit pas d’un changement, même brutal, d’une politique culturelle : c’est tout simplement l’abandon de toute politique. Le prétexte d’une « réduction de la dette », d’un « effort de la part des artistes » (parce que ce serait donc le jazz qui aurait creusé la dette extérieure de la France ? Je ne nous savais pas si puissants...), systématiquement invoqués, sont devenus les leurres misérables d’un argumentaire de boutiquiers.

Des choix sont toujours possibles, même dans un ensemble de choses à sacrifier — c’est la définition même de la politique : si donc la culture paie les pots que d’autres ont cassés, c’est que la culture n’a pas sa place dans la vitrine de la boutique. Dehors également les petits hôpitaux, les cours d’appel de province, les bureaux de poste, les enseignements rares... Bientôt on nous annoncera triomphalement que les comptes sont à l’équilibre. Forcément : la boutique sera totalement vide, et il n’y aura plus rien à financer.

Et nous ? Nous, les jazzeux, nous dont la musique fut (j’hésite sur le temps du verbe...) une révolte, et la réalisation en acte, chaque soir, de la plus belle des utopies politiques ? Car qu’est-ce que c’est, improviser à plusieurs, sinon mettre en jeu sa liberté au service du collectif ? Qu’est-ce que c’est, prendre un solo, sinon voler grâce aux ailes des autres ? Qui entend encore aujourd’hui dans le jazz la démocratie telle qu’on la rêve ? Jouer libre, égal aux autres, soutenant les autres et soutenus par eux... Je crois qu’il y a un pays, en Europe, qui a pris ça pour devise, il y a longtemps... mais ce sont LES devises qui l’ont remplacé. Nous le savons tous, nous le dénonçons tous plus ou moins fort, ce qui nous permet de nous compter et de nous tenir chaud.

Alors ? Combien de temps encore, l’indignation à la place de la révolte ?

© Tristan Macé, vice-président de l’UMJ

Ce texte est l’Édito de la Newsletter de l’UMJ (mai 2008)
L’UMJ (Union des Musiciens de Jazz)
19, rue des Frigos
75013 Paris
Tel : 01 45 83 22 71