14 février 2010

Un moyen révolutionnaire de réduire le surplus commercial de la Chine

En 2005, le yuan – encore appelé renminbi – la monnaie chinoise, cessa d’être exclusivement ancré au dollar pour l’être dorénavant à un panier de devises où le dollar américain continue cependant de dominer massivement. Depuis juillet 2008, le cours du yuan a à peine fluctué autour du cours de 6,83 yuan pour un dollar. Cet ancrage permet une grande stabilité dans les opérations commerciales entre la Chine et les États-Unis. Ces derniers se plaignent amèrement de cet état de fait qui équivaut selon eux à un dumping sur l’ensemble des marchandises produites en Chine, la monnaie chinoise s’étant de facto appréciée mais étant sérieusement sous-évaluée du fait de cet ancrage.

Quand les États-Unis réclament le désancrage du yuan par rapport au dollar, ils invoquent en sus du caractère « déloyal » de l’ancrage actuel, également la simple logique économique : « Votre surplus commercial est considérable, disent-il en substance aux Chinois : réévaluer votre devise vous permettra de le faire baisser ». Ce surplus s’élève en effet aujourd’hui à 284,1 milliards de dollars, une somme qui reste considérable même si elle est en baisse de 35 % par rapport au montant qui était le sien l’année dernière.

Mais depuis janvier, la Chine est moins disposée que jamais à se conformer aux vœux des États-Unis puisque ceux-ci ont promis de livrer à Taïwan du matériel militaire pour un montant de 56,4 milliards de dollars. Une consigne circulerait en Chine enjoignant aux banques de cesser d’acheter de la dette émise par les compagnies américaines ainsi que les titres adossés à des crédits immobiliers émis par les Government–Sponsored Entities, Fannie Mae et Freddie Mac. Il y a d’autres motifs possibles à cet arrêt que des représailles pour les ventes d’armes à Taïwan : le simple bon sens économique en est un, alors que la reprise aux États-Unis – si reprise il y eut – s’essouffle, un autre est le fait que la Federal Reserve cessera au printemps d’acquérir ces titres constitués de crédits immobiliers et que leur valeur pourrait du coup baisser considérablement. Quoi qu’il en soit, la Chine s’abstient soigneusement de démentir qu’il pourrait y avoir un rapport entre l’arrêt dans l’achat de la dette immobilière ou des entreprises et la vente d’armes à Taiwan.

« Il serait bon que nous réduisions notre surplus commercial, disent les Chinois, qu’à cela ne tienne, nous connaissons le moyen, et il est indépendant du cours de notre devise ». Le moyen auquel ils ont décidé de recourir n’a en effet qu’un rapport indirect avec le yuan : il réduit la dépendance vis-à-vis du taux de change de la devise parce qu’il fait que la bonne santé économique de la Chine dépendra moins à l’avenir du niveau de ses exportations, l’accent étant désormais mis sur le développement du marché intérieur.

J’expliquais dans « La crise du capitalisme américain » (2007 ; 2009) que la Chine ferait des États-Unis la locomotive de sa révolution industrielle aussi longtemps que cela serait possible et qu’une fois l’Amérique épuisée, elle se tournerait alors vers son marché intérieur (pp. 237-238). La stratégie n’a peut-être pas pu être appliquée aussi longtemps que les dirigeants chinois l’auraient espéré mais ils mettent maintenant en pratique la recette envisagée dès l’origine : le moyen qui permettra de réduire le surplus commercial de la Chine est aussi celui qui lui autorisera le développement de son marché intérieur. La stratégie choisie est à la fois logique et révolutionnaire – il s’agit du type-même de remède que l’Europe et les États-Unis ont exclu de leur panoplie pour des raisons idéologiques : augmenter les salaires. Dans la province du Jiangsu, en Chine Orientale, le salaire minimum vient d’être augmenté de 13 % pour y attirer la main d’œuvre et il ne s’agit pas d’une mesure isolée : Shanghai augmentera le salaire minimum au 1er avril. D’autres provinces ont déjà annoncé qu’elles suivront. Et il n’y a là matière à aucune surprise : les ordres viennent d’en haut.

Les Chinois ne sont décidément pas des gens comme nous !

Merci Paul Jorion