15 novembre 2006

Universal et Microsoft réinventent la rémunération pour copie privée

Qu’on ne s’y trompe pas, c’est bien là que se situe un des enjeux majeurs de la « nouvelle économie » de la musique : la rémunération pour copie privée. C’est elle que sont en train de réinventer Microsoft et la maison de disques Universal Music, qui vient de signer avec le premier un accord prévoyant qu’elle percevra une dîme sur les ventes de baladeurs Zune.

Si un tel accord avait été signé avec Apple, avec qui Universal Music dit désormais vouloir renégocier la nature de ses engagements, les ventes de iPod auraient déjà rapporté plusieurs centaines de millions de dollars aux maisons de disques. Mais elles n’ont certainement pas été assez clairvoyantes pour discerner que l’essentiel de la valeur créée par le développement de la musique en ligne allait se concentrer dans un premier temps sur le hardware.

Au point de bouleverser de fond en comble le modèle de business d’Apple, dont le iPod représente aujourd’hui plus de 30 % des revenus et dont toute la stratégie se tourne désormais vers le secteur des loisirs numériques.

Pourquoi la copie privée représente-t-elle un tel enjeu ? Parce partout où l’industrie des contenus aura de plus en plus de mal à faire respecter ses droits de propriété intellectuelle, du fait de l’évolution technologique et des nouveaux usages qui se développent grâce aux mobiles et à Internet, c’est le régime de la copie privée qui s’appliquera. Avec si possible, une rémunération à la clé.

Quand on sait qu’il ne s’est vendu que 20 titres de musique sur iTunes Music Store par baladeur iPod acheté, on ne doute plus un instant que la copie privée a été et sera le moteur de la nouvelle économie de cette industrie.

Une remise en cause de la gestion collective

Dans la plupart des pays européens, la copie privée est autorisée dans un cadre privée par une exception au droit d’autoriser des producteurs et donne lieu à la perception d’une compensation directe sur les ventes de tous les appareils d’enregistrement et supports de stockage. Gérée en France par la Sorecop (Société de perception et de répartition de la rémunération pour la copie privée), cette compensation fait l’objet d’une gestion collective, dans un cadre réglementaire fixé une bonne fois pour toutes par la loi Lang de 1985.

C’est toute la différence avec ce que préfigure l’accord passé entre Microsoft et Universal, qui introduit une gestion contractuelle de la copie privée. Ce n’est plus la loi mais le marché qui régule à la fois ses modalités et les conditions de sa rémunération. Il s’agit purement et simplement de « marchandiser » cet espace privé et de le contrôler, soit via les DRM, soit par le biais de « contrats » de ce type.

Derrière les efforts de certains géants de l’électronique grand public comme Philips ou Nokia pour remettre en cause le principe de la rémunération pour copie privée en Europe, l’objectif est le même : laisser le marché réguler la copie privée au mieux de ses intérêts. Pour eux comme pour les majors de la musique, tout ce qui relève d’une gestion collective, y compris les droits d’auteurs, doit désormais s’ouvrir à la concurrence.

Ce serait se priver, en même temps, de tout un pan du financement de la politique culturelle des Etats, en matière de subvention de la création, notamment. Et d’une partie des moyens qui permettent de mener une politique culturelle et de défendre des exceptions dans ce domaine. Faut-il tout abandonner aux marchés ? Ce sera l’un des enjeux des réformes de la propriété intellectuelle en Europe dans les années à venir.

Une chose est sûre, plutôt que sur le négoce de la valeur intrinsèque de ses contenus, l’industrie culturelle devra dorénavant compter sur trois sources de revenus : la publicité, les services et… la copie privée. Les majors feront tout pour que cette dernière échappe au contrôle des sociétés de gestion collective en Europe.

Philippe Astor